Institué en 2011 pour soumettre à charges sociales les rémunérations indirectes versées par des tiers, l’article L. 242-1-4 du Code de la sécurité sociale est aujourd’hui appliqué par l’URSSAF de manière extensive pour requalifier en avantages les dépenses de développement commercial : invitations à des matchs de foot, spectacles, concerts, hospitalités lors de salons ou voyages commerciaux, etc. Cette interprétation contestable est lourde de conséquences pour les entreprises.
1. Origine du dispositif prévu par l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale
Traditionnellement, l’assiette des cotisations de sécurité sociale, définie à l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, recouvrait exclusivement les salaires et accessoires versés par l’employeur.
Cependant, dans la pratique, certains salariés perçoivent des avantages ou rémunérations octroyés par des entreprises tierces, qui ne sont pas leur employeur : pourboires centralisés, primes versées par un fournisseur, cadeaux, voyages, invitations à des concerts, matchs de foot, spectacles.
La Cour de cassation considérait déjà que ces avantages pouvaient constituer des éléments de rémunération devant être soumis à cotisations, mais le cadre légal demeurait incertain.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, article 21) a introduit l’article L. 242-1-4 dans le Code de la sécurité sociale pour combler ce vide.
Ce texte prévoit que toute somme ou tout avantage accordé à un salarié par une personne n’ayant pas la qualité d’employeur, en contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt de cette personne, doit être assujetti aux cotisations et contributions sociales.
La philosophie du texte était claire et louable :
- mettre fin aux pratiques consistant à rémunérer indirectement des salariés via des entreprises tierces,
- sécuriser les recettes sociales et garantir que ces avantages alimentent les droits sociaux des salariés (notamment les droits à la retraite).
Dans la pratique, l’URSSAF a progressivement adopté une interprétation très extensive de ce dispositif pour légitimer la réintégration des dépenses de développement commercial dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale.
2. Une interprétation extensive visant à fonder le redressement des dépenses de développement commercial
Dans le cadre des contrôles URSSAF, les inspecteurs se fondent sur le dispositif prévu à l’article L. 242-1-4 du Code de la sécurité sociale pour réintégrer dans l’assiette des cotisations sociales les invitations des clients et partenaires commerciaux des sociétés à des matchs de foot, concerts ou spectacles, voyages ou les hospitalités offertes lors de salons professionnels.
Pour fonder ces redressements, les inspecteurs soutiennent que ces invitations constitueraient la contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt de l’entreprise tierce, en évoquant par exemple une « sensibilisation » du salarié aux produits ou services de la société, afin qu’il puisse les prescrire ensuite dans son activité professionnelle.
Ces affirmations, qui ne sont la plupart du temps étayées par aucun élément probant, ne sont pas conformes à la réalité.
Le redressement se fonde ainsi sur un postulat erroné et bafoue, par ailleurs, les exigences probatoires de la jurisprudence.
La Cour de cassation a, en effet, rappelé à plusieurs reprises que l’application de l’article L. 242-1-4suppose l’existence d’une véritable contrepartie professionnelle.
La Haute juridiction a ainsi censuré des décisions validant un redressement sans rechercher si les cadeaux et avantages litigieux étaient effectivement consentis en contrepartie ou à l’occasion du travail (Cass. 2e civ. 6 janvier 2022, n° 20-16.240 - Cass.2e civ., 22 juin 2023, n° 21-18.347).
Notons cependant que dans un arrêt plus récent, la Cour a considéré que des cadeaux et bons d’achat offerts aux responsables d’exploitation et de sites d’une société cliente constituaient bien une contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt de la société tierce (Cass. 2e civ. 15 mai 2025, n° 23-12.263).
3. Une dérive contestable et préjudiciable aux entreprises
Assimiler des dépenses de développement commercial à de la rémunération constitue une véritable injustice pour les entreprises dès lors que dans la majorité des situations, ces dépenses s’inscrivent dans une logique de relations commerciales (fidélisation de la clientèle, développement de partenariats, actions de réseau) et relèvent de la stratégie commerciale des entreprises, et non d’une volonté de gratifier individuellement un salarié.
En brouillant la frontière entre rémunération et dépenses commerciales, l’URSSAF crée une insécurité juridique et financière préjudiciable aux entreprises.
Les conséquences sont lourdes :remise en cause d’outils traditionnels de prospection et de fidélisation, alourdissement imprévisible des charges sociales, complexification des missions des DRH et DAF, contraints d’anticiper un risque de redressement pour des dépenses commerciales légitimes.
Dans ce contexte, il est essentiel pour les directions RH et financières de :
- auditer leurs pratiques en matière d’invitations, cadeaux et hospitalités,
- documenter le caractère commercial de ces dépenses(listes de participants, objectifs poursuivis, correspondances commerciales),
- contester les redressements abusifs reposant sur une interprétation trop large de l’article L. 242-1-4.
Conclusion
En voulant sécuriser l’assujettissement des rémunérations indirectes versées par des tiers, le législateur n’entendait pas entraver la politique commerciale des entreprises. Pourtant, l’usage extensif de l’article L. 242-1-4 par l’URSSAF conduit à une assimilation contestable des frais de développement commercial à des avantages soumis à cotisations.
Cette dérive appelle une vigilance accrue de la part des DRH et DAF : documenter les dépenses, anticiper les positions de l’URSSAF et, le cas échéant, défendre leurs intérêts devant les juridictions pour rétablir la frontière entre rémunération et politique commerciale.
Contactez Maître Alexandra DABROWIECKI pour faire le point sur vos pratiques.